Décédée le 28 juillet et enterrée en plein désert, la famille de la jeune femme de 37 ans ne sait comment faire son deuil sans la dépouille de leur fille.
Comme Moïse, le personnage biblique, Isabelle Mercy Mpouma ne verra jamais la « Terre Promise ». La chimère occidentale « El Dorado », tant convoitée par la jeunesse africaine, elle l’est peut-être dans l’autre monde. Ceux de l’au-delà accompagnés de ce courageux candidat à l’immigration clandestine, tombé au front avec des « armes » à la main. La jeune femme de nationalité camerounaise, âgée de 37 ans, est décédée dans le désert nigérian le 28 juillet 2021. Le décès est survenu lors de la traversée du Sahara, qui marque sans doute la dernière étape avant d’arriver sur le sol algérien. Une étape intermédiaire synonyme d’arriver au bout du tunnel partiel, car c’est à partir de là que les immigrés se ressourcent et polissent leurs armes avant de devoir s’engager sur d’autres routes tout aussi dangereuses qui devraient les conduire « aux portes du vieux continent » .
La dépouille de la marchande a été enterrée dans le désert (par des nomades touaregs ?), comme nous le disent les vidéos postées par ses compagnons de fortune visiblement dépassés par les événements. Ces « frères d’armes et sœurs » ont laissé la dépouille mortelle de leur compatriote à la merci des charognards, contre leur gré, non sans montrer leur bonne foi, et implorant le pardon des ancêtres et des vivants pour leur décision réaliste, ceci dans le respect de la tradition africaine selon laquelle les morts ne sont pas morts. « Nous sommes aux avant-postes et nous ne pouvons pas sacrifier plus de 40 vies pour une seule personne », affirme une voix masculine dans la vidéo qui circule sur la toile depuis dimanche dernier. Des informations parvenues à la famille montrent que certains des compagnons du « front » sont allés rapporter la situation aux Touaregs qui, lorsqu’ils sont arrivés à l’endroit où elle était en train de mourir, n’avaient que leurs yeux pour voir la mort de la femme.
Trois millions de francs CFA
Isabelle Mercy Mpouma a quitté le Cameroun le mardi 20 juillet 2021 et s’est dirigée vers le « front ». La seule information que ses proches ont de cette aventure périlleuse, cet aller simple, est que la jeune femme a dû passer par Yaoundé, contrairement aux autres candidats au « front » (nom de l’immigration clandestine en argot local), qui La route passe du Nigeria, via la ville d’Ikok, à la frontière camerounaise, en passant par le plateau de Joss et Kano (au Nigeria), puis migre vers la ville algérienne de Tamanrasset, après avoir défié la route Zinder-Agades au Niger. Arrivés à cette étape décisive, qui mène à travers le Sahara jusqu’au territoire algérien, on nous a dit que la colonie d’immigrants devrait continuer le reste du voyage à pied.
Selon des proches du défunt qui ont rencontré Le Jour dans une maison en bois où la famille nucléaire de cette femme célibataire vit en location, à Beedi, au lieu-dit « Haute Tension », la promenade n’était pas prévue. Isabelle avait depuis l’année dernière passé un accord avec une personne qui lui faciliterait le voyage et l’aiderait à quitter le Cameroun. Après une première aventure qui n’avait pas été couronnée de succès pour elle par le passé, Isabelle était retournée dans son pays natal, où elle a poursuivi son activité dans une boutique qu’elle avait achetée avec ses propres économies au marché de la ville des Palmiers. A l’entrée du couloir menant à la boutique, elle avait installé un stand proposant des services d’ongles, comme l’a confirmé son fils Emmanuel Ndjebaï, qu’elle avait formé à cette activité et au métier depuis qu’il avait quitté prématurément le collège.
Après que le Covid-19 a frappé aux portes du Cameroun et de tout le continent africain, il n’était plus possible pour Isabelle de voyager en 2020 comme convenu. Entre-temps, son supérieur hiérarchique avait utilisé les trois millions de francs CFA qu’elle lui avait versés, ce qu’il n’a pas démenti. « Ce monsieur a dit à ma fille qu’il les avait utilisés et qu’il ne pouvait plus la rembourser. Pourtant, il lui a assuré que le moment venu, il la mettrait en contact avec une personne que je ne connaissais pas », a déclaré Elisabeth Mercy, 60 ans, épouse de Mpouma, la mère du défunt. Assise sur le seuil de la porte, inconsolable, elle verse ses larmes pendant que le reporter raconte le drame.
Fatigué pendant la traversée
Avant d’entamer la traversée, Isabelle Mercy Mpouma appelle son fils et l’informe de cette étape cruciale et décisive. « Ma mère m’a appelé, mais elle avait l’air très fatiguée. Il y avait trop de bruit autour d’elle, tremblant. Elle m’a expliqué qu’elle est fatiguée car elle ne se lève pas et ne s’assoit pas pendant des heures, sans pouvoir se dégourdir les jambes », a déclaré Emmanuel Ndjebaī, 18 ans, et fils aîné du défunt. Même à ce niveau, rien n’annonce une fin tragique et dramatique pour cette femme, qui prendra même des nouvelles des autres frères et sœurs qu’elle a laissés à Douala. Parmi eux se trouve Junior, le frère cadet d’Isabelle. Elle lui demande de n’envoyer désormais que ses votes, et elle lui demande de transmettre ce souhait aux autres membres de la famille.
Pourtant, la seule et dernière voix qu’Emmanuel a envoyée à sa mère depuis le 26 juillet n’a jamais eu l’écho d’un retour. Jusqu’à ce que cette femme qui n’avait pas les habitudes d’un marcheur décède le 28 juillet 2021, probablement d’une déshydratation aiguë, et que sa famille nucléaire n’en ait eu connaissance que le dimanche 1er août. « Avant ça, maman m’a écrit le 22 juillet pour me dire ‘Bonjour mon fils, je t’aime' », raconte Emmanuel. C’est au téléphone à 7 heures ce dimanche qu’Emmanuel a appris la nouvelle d’une femme, après avoir refusé d’ouvrir la porte aux premières lueurs du même jour à une autre femme venue lui donner la même information. « C’est juste que je n’aime pas ouvrir la porte aux gens tard le soir. Et puis j’ai tout pris à la légère. Je n’y croyais pas, je tremblais encore, il pleuvait et j’ai continué mon travail », raconte le garçon confus.
« Ma vie s’est effondrée »
Le garçon est d’autant plus horrifié que sa mère était tout pour lui. « Je ne sais pas si mon petit frère, qui a cinq ans, ira à l’école cette année. L’Etat doit venir en aide à la famille Mpouma. Ma mère était tout pour moi. Mon père m’a laissé dans le ventre de ma mère, et elle était aussi mon père. Donc si elle part, je n’aurai pas de retour. C’est comme si la vie s’était effondrée. C’était aussi elle qui nourrissait la grand-mère. Quand cette dernière était malade, ma mère lui a dit : « Va à l’hôpital, ça va aller ». Josiane, la nièce d’Isabelle, n’a pas moins dormi. Car comment pleurer un être cher sans avoir vu sa dépouille ? « Ce que nous demandons d’abord au gouvernement, c’est de nous aider à pleurer notre sœur, car savoir qu’elle est morte est une chose, mais ne jamais savoir où elle est enterrée en est une autre. Nous voulons donc le pleurer avec sa dépouille. », supplie le jeune cousin.
La nouvelle du décès d’Isabelle Mpouma a été portée à la mère du disparu par un couple qui vivait dans le Génie Militaire. Les visiteurs étaient mandatés par son fils, qui faisait partie des 40 personnes impliquées dans la traversée du désert, et qui a été témoin des derniers instants de leur compatriote. Mère Miséricorde, qui venait de finir de repasser ses vêtements et de se préparer pour le culte, a abandonné ses programmes de la journée. Isabelle Mercy Mpouma quitte ce monde sans jamais vraiment connaître le bonheur d’une relation stable. Cela justifie qu’elle soit devenue la seule star de sa famille après la mort de certains membres de cette fratrie.
#Immigration #illégale #Isabelle #Mpouma #enterrée #dans #désert #famille #désemparée