La Commission de recherche des archives françaises sur le Rwanda et le génocide des Tutsi a présenté son rapport au Président de la République le 26 mars 2021. Elle a évoqué la « responsabilité lourde et écrasante » des autorités de l’époque et la « faillite de la France au Rwanda ». La France n’est pas complice du génocide des Tutsi « si on entend par là la volonté de rejoindre le génocide ». Une définition imparfaite et un jugement fondé sur une enquête aux failles graves.
On peut admirer la performance de la commission présidée par l’historien Vincent Duclert, qui en moins de deux ans et malgré la pandémie, a constitué un nombre important d’archives consultées produire un rapport complet, même si ses membres n’étaient « en aucun cas » des spécialistes en la matière. Nous nous réjouissons que ce rapport confirme ce que de nombreux journalistes et chercheurs disent depuis longtemps, à savoir que les autorités françaises de l’époque « ont fait preuve d’un aveuglement persistant dans leur soutien à un régime raciste et corrompu ». et violent [celui du président Habyarimana, assassiné le 6 avril 1994] », soutien qui est venu « de la volonté du chef de l’État [François Mitterrand] et de la présidence de la république », nourrie par une « lecture ethnique » de la réalité rwandaise ces autorités « incapables de comprendre que la définition de la démocratie par « la population majoritaire » [nom des Hutus par l’idéologie officielle du régime rwandais]
est la négation d’y rattacher une catégorie ethnique ». Le rapport ajoute que les responsables français « ont ignoré les événements même lorsque toutes les informations étaient disponibles » et « ont fait preuve d’une incapacité mentale à penser le génocide tel qu’il était défini, et de lui. distinguer entre les meurtres de masse ». Le jugement paraît définitif. Il ne fait cependant qu’approfondir les principales conclusions de la mission d’information parlementaire de 1998… Il est certain que le fait que le rapport soit adressé au chef de l’Etat lui confère un caractère particulier dans notre monarchie républicaine donne comme discours « l’annonce d’une élection présidentielle formelle ». Mais au-delà de l’analyse des » dérives institutionnelles » et de la mise au jour » de l’existence de pratiques administratives irrégulières, de communication parallèle et même de chaînes de commandement, de contournement des règles d’engagement et des actes d’intimidation et d’expulsion de fonctionnaires ou Agents par l’intermédiaire de la société ». » – ce n’est pas rien – le rapport Duclert contient très peu d’innovations par rapport aux députés européens. Par ailleurs, force est de constater que le manque de temps et de matériel, le recul pris et le manque de détermination de la Commission Duclert limitent ses conclusions.
Le rapport adressé au Président de la République représente dans un premier temps la position officielle des autorités françaises de l’époque de manière insuffisamment critique, qu’il s’agisse des objectifs de l’opération Noroit, étonnamment vue comme une conséquence du discours de La Baule, ou de ceux de l’opération Turquoise, vue comme une aide humanitaire. L’opération Noroit a été lancée en octobre 1990 pour aider le régime Habyarimana à faire face à une attaque armée du Front patriotique rwandais (FPR). Il consiste en l’envoi de troupes et s’inscrit bien plus dans la longue tradition des interventions militaires françaises en Afrique depuis les indépendances qu’au lendemain d’un discours de circonstance que Paris a vite mis de côté pour ne pas irriter les potentats du pré. Quant à Turquoise, cette opération militaire de près de 3.000 hommes dont le motif officiel était de mettre fin aux massacres, le rapport manque son véritable objectif : bloquer l’avancée des forces du FPR afin de libérer tout le Rwanda de ceux soutenus par Paris. Génocides. Le manque de temps et la division du travail entre les membres de la commission conduisent également à une structuration plus approfondie du rapport, qui juxtapose les différents fonds d’archives examinés sans pour autant les parcourir. Le lecteur intéressé par un sujet particulier devra dans la plupart des cas guider sa propre collection à travers les pages. Ce retard est particulièrement préjudiciable à la couverture des éléments incriminés peu fréquents du rapport et affaiblit encore son impact critique.Le rapport sous-estime gravement le poids de certaines décisions prises par les autorités françaises. Citons cela pour ne pas arrêter le gouvernement génocidaire qui s’est réfugié dans la zone turquoise, dont le rapport nous apprend que Paris a rejeté l’offre des États-Unis de faire modifier son mandat par le Conseil de sécurité afin d’arrêter Pour permettre aux auteurs de génocide . Cette définition restrictive de la complicité de génocide permet aux dirigeants français de l’époque d’en être exemptés et de ne conserver qu’une responsabilité écrasante due à l’aveuglement et à la banqueroute intellectuelle. Conclusion saluée par Hubert Védrine et Alain Juppé. Or, cette définition est à la fois juridiquement et historiquement incorrecte : légalement, Maurice Papon a été reconnu coupable de complicité de crime contre l’humanité sans être inculpé du fait qu’« il était l’intention génocidaire des nazis, et historiquement personne ne niera que le Le régime de Vichy était complice de la Shoah. L’affirmation de cette Commission selon laquelle la France n’a pas été complice du génocide des Tutsi apparaît davantage comme une conclusion « politico-académique » que comme un résultat scientifique.
Ajoutons que si la Commission avait approfondi certains aspects en ayant accepté de remettre en cause des sources d’archives provenant d’autres sources (notamment des témoignages), elle aurait pu éviter de se placer en deçà de ce qui était déjà connu sur des points essentiels. Citons la formation du gouvernement intérimaire à l’ambassade de France, que le rapport rejette, alors que l’ambassadeur Marlaud se serait vanté : un gouvernement[1] ». Les livraisons d’armes pendant le génocide sont également peu documentées dans le rapport, bien que Philippe Jehanne, conseiller du ministre de la Coopération, les ait avouées à Gérard Prunier [2]. Troisième exemple : L’extradition des Tutsis de Bisesero à leurs assassins par l’armée française fin juin 1994 conduit dans le rapport à une histoire tellement elliptique et incompréhensible pour les non-initiés. Le sauvetage du dernier Tutsi le 30 juin 1994 n’est même pas mentionné explicitement. Encore moins, que cela se passe à l’initiative de militaires français qui agissent en dehors des ordres reçus. Cette autolimitation de la commission sur certaines questions clés contraste avec l’utilisation généralisée de sources non archivées (articles de presse, extraits de journaux télévisés) sur les premiers jours du génocide, par exemple au-delà des documents français, la commission a ravivé l’accusation de complicité dans le génocide s’il était d’accord devrait ouvrir certaines des boîtes de Pandore, qu’elle gardait soigneusement fermées à clé. Par exemple, une seule phrase du rapport, afin de l’évacuer sans examen, évoque la question d’une éventuelle contribution de militaires ou mercenaires français à l’attentat du 6 avril 1994 contre le président Habyarimana au Rwanda pendant le génocide et sur leur rôle, pas plus que l’action des Mercenaires de Paul Barril et Bob Denard et leur association à une stratégie indirecte évoquée par le général Quesnot, conseiller militaire du président Mitterrand, lors du génocide avec les Hauts commandements rwandais (FAR). . Le chef de la Mission de coopération militaire (MMC), le général Huchon, a néanmoins rencontré un officier d’état-major des FAR, le colonel Ephrem Rwabalinda, ainsi que le chef d’état-major adjoint, le général Germanos, et le chef d’état-major des FAR à Paris du 9 mai au 13, 1994, général Bizimungu Aucune mention de l’utilisation par les FAR de la zone turquoise comme base de retraite contre le FPR. Aucune trace de protestations de soldats français à leur encontre au Zaïre, ordre confirmé par Hubert Védrine, si l’on en croit Patrick de Saint-Exupéry. Rien de plus qu’une enquête en turquoise sur l’aide des militaires français à la réorganisation des FAR au Zaïre. Si la conclusion du rapport critique en détail et durement le soutien au président Habyarimana, on oublie de rappeler qu’après l’assassinat de ce dernier, l’État français a soutenu le gouvernement de transition face au génocide : soutien à son éducation, sa reconnaissance internationale, sa maintien du pouvoir, son réarmement et enfin son impunité.
La commission clôt les faits potentiellement incriminants pour ne pas parler de complicité et limite encore la responsabilité des abus institutionnels, qu’elle impute au président Mitterrand et à ses conseillers. Elle s’adresse notamment aux salariés privés du chef de l’Etat – les généraux Quesnot et Huchon – et son conseiller Afrique Bruno Delaye. Le rapport nous raconte comment Huchon a contourné la hiérarchie militaire pour communiquer directement avec l’attaché de défense à Kigali. Il souligne l’irrégularité de cette pratique. Il montre les préjugés idéologiques qui ont fait que Mitterrand et son entourage ne voient littéralement pas le génocide en préparation puis en exécution : ethnicité et rivalité largement fantasmée avec « les anglo-saxons ». La Mission d’Information avait déjà montré qu’il est faux de limiter cette approche déformée de la réalité rwandaise à un cercle restreint autour de Mitterrand. Les préjugés idéologiques dénoncés étaient également présents au ministère des Affaires étrangères, à l’état-major des armées, au secrétariat général de la défense nationale dépendant du Premier ministre… Ils n’étaient pas partagés par tous les protagonistes, mais étaient suffisamment puissants pour conduire politique au Rwanda. Pas étonnant, cette vision était et fait partie intégrante de la Françafrique. Dénoncer les dérives institutionnelles et limiter la responsabilité à un président décédé et à ses conseillers permet d’éviter de remettre en cause un système structuré de relations toxiques avec les pays africains, dont la présidentialisation à l’extrême de notre république est l’une des clés du coffre-fort.
Le rapport de la Commission Duclert est donc un rapport nécessaire car il porte un coup au rejet de la diffamation de la politique française au Rwanda par certains responsables politiques et militaires de l’époque, qui est toujours soutenu aujourd’hui par une partie de l’appareil d’Etat. Mais c’est aussi et surtout un rapport très insuffisant en raison de ses graves lacunes et du manque de marge d’interprétation des causes des erreurs françaises.Les travaux de la Commission Duclert ne peuvent être considérés que comme le point de départ de nouvelles investigations, qui conduit à un approfondissement des connaissances à la complicité de l’Etat français dans le génocide des Tutsi et à la recherche de la responsabilité personnelle En effet, il serait intolérable que les responsables de l’époque, qui ont tant déshonoré notre pays, ne soient pas traduits en justice devant des tribunaux qui jugent « au nom du peuple français ». Raphaël Doridant
[1] Témoignage de Colette Braeckman, in Laure Coret et François-Xavier Verschave, L’horreur qui nous pris au visage, Karthala, 2005, p. 214.
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