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Emmanuel Noubissie Ngankam – Subventions aux prix des carburants : sortir de l’impasse

Les effets externes de l’invasion russe de l’Ukraine sur l’économie camerounaise ont, entre autres, posé l’épineuse question de la pertinence et de la pérennité des subventions aux prix des carburants.

Les subventions aux énergies fossiles ont souvent été présentées dans les pays producteurs d’hydrocarbures comme une approche sociale visant à mieux répartir le rendement des ressources naturelles de ces pays. Aussi vertueuse soit-elle, cette approche a des limites objectives et pourrait même se transformer en un fléau aux conséquences néfastes pour l’ensemble de la communauté. Indistinctement, les subventions aux énergies fossiles peuvent créer des distorsions de marché, grever dangereusement les budgets des États, favoriser la surconsommation, favoriser la corruption, générer des externalités néfastes pour l’environnement et amplifier les inégalités sociales qu’elles sont censées corriger.

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Au Cameroun, la relance simultanée du débat sur les subventions aux carburants et la deuxième revue du programme avec le FMI ont donné libre cours à une certaine vision selon laquelle la baisse prochaine voire la suppression des subventions serait dictée par l’institution de Bretton Woods. Certes, cette institution, qui ne cache pas son orthodoxie, a préconisé à juste titre un certain nombre de réformes, dont celle des subventions, mais c’est finalement aux autorités de prendre les bonnes décisions, non seulement sur la base d’éléments rationnels et irréfutables données, mais aussi sur la base d’un consensus social qui reste à poursuivre.

« Est-il raisonnable et durable de dépenser près de 13 % du budget de l’État, 3 % de la richesse nationale (PIB) en subventions aux carburants ? »

Selon les données les plus récentes du Ministère de l’Eau et de l’Energie (MINEE) et confirmées par la Direction Générale du Trésor, de la Coopération Financière et Monétaire du Ministère des Finances, les subventions aux prix des carburants pourraient atteindre 780 voire 800 milliards de francs CFA d’ici 2022 contre 480 milliards prévus dans la loi de finances rectificative récemment votée et promulguée. Ces subventions représenteraient alors environ 13% du budget de l’Etat, qui, rappelons-le, s’élève à 6,080 milliards de FCFA, et près de 3% du PIB du Cameroun (27 000 milliards de FCFA). Ce niveau de subventions peut être relativisé en le rapportant à un certain nombre d’agrégats : en 2022 les investissements publics financés sur ressources internes seront de 620 milliards de FCFA, les financements extérieurs des investissements publics d’environ 780 milliards, les salaires d’environ 1 100 milliards de FCFA, la le déficit budgétaire sera hors subventions estimé à -787 milliards et le déficit (y compris subventions) à -645 milliards. Ce déficit indique clairement que l’État n’est pas en mesure de financer ses coûts de fonctionnement sur ses propres ressources, tout en dépensant un montant équivalent en subventions aux carburants.

Dans cette situation de quasi-faillite et d’extrême dépendance extérieure et d’endettement pour faire face aux obligations actuelles, est-il raisonnable et soutenable de dépenser près de 13% du budget de l’Etat, 3% de la richesse nationale (PIB) en subventions aux carburants ? ?

Pour répondre à cette question, le gouvernement doit décider en fonction de plusieurs scénarios possibles, y compris des options radicales.

La première option est le statu quo. Ce scénario pourrait être qualifié de suicidaire dans le sens où il placerait la faillite de l’État sur l’autel des subventions aux prix des carburants. N’en déplaise à une certaine opinion qui prédit le chaos social si le curseur devait être déplacé, le maintien des subventions aux niveaux actuels est absolument irréaliste et insoutenable. A y regarder de plus près, ce scénario d’immobilisme et de passivité comporte de grands risques, notamment l’incapacité de l’Etat à remplir ses obligations envers les importateurs de produits pétroliers. Le récent déficit doit être considéré comme un sérieux avertissement.

Dans le cas extrême du statu quo, la deuxième option qui serait tout aussi radicale serait de supprimer les subventions et d’appliquer la vérité des prix à la pompe. Dans ce cas, le consommateur paierait le litre d’essence à environ 1035 F CFA, le diesel à 998 F CFA et le kérosène à 800 F CFA. Un tel scénario tout aussi suicidaire recèlerait les germes d’une explosion sociale, d’une hausse générale des prix et même d’une paralysie de l’économie.

Entre les deux extrêmes, l’Etat dispose d’une marge de manœuvre dans laquelle il devrait pouvoir agir en menant un certain nombre d’actions de soutien dont nous parlerons.

« L’augmentation des prix à la pompe et le maintien de niveaux durables de subventions pourraient s’accompagner d’une baisse de certaines taxes qui affectent les prix des carburants »

Le troisième scénario serait de repenser la structure du prix des hydrocarbures et de faire des compromis qui conduiraient à la réduction (et non à la suppression) des subventions. Une variante de ce scénario serait que l’État détermine le niveau de subvention tolérable dans un contexte de prix du brut supérieur à 100 $ le baril. A titre d’illustration : dans la loi de finances rectificative votée en juin dernier, un montant de 480 milliards a été réservé aux subventions aux carburants. Le maintien de cette option entraînerait une augmentation du prix à la pompe de 20 à 25 %. L’essence serait vendue à environ 780 F CFA le litre à 630 F actuellement, le gasoil à 700 à 575 et le kérosène à 450 à 350. A titre indicatif, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont récemment augmenté le prix à la pompe de 775 à 890 à le premier et de 695 à 735 au second.

L’augmentation des prix à la pompe et le maintien d’un niveau de subvention soutenable pourraient s’accompagner d’une baisse de certaines taxes qui affectent les prix des carburants. Il s’agit de la TVA, des droits de douane et de la Taxe Spéciale sur les Produits Pétroliers qui s’élèvent cumulés à 278 FCFA/litre pour l’essence, 247 pour le gazole et 74 pour le kérosène.

Il va sans dire que ce troisième scénario comporte des sous-variantes qu’il convient d’affiner en mettant en place un mécanisme d’ajustement automatique tenant compte de l’évolution du prix du pétrole sur le marché international. A cet effet, rappelons qu’en 2014 le gouvernement a augmenté les prix à la pompe de 15%, accompagné d’une augmentation du salaire des fonctionnaires de 5%, de celui du salaire minimum de 28% et du prix des transports (taxi ) de 33 %. En 2016, une légère baisse des prix à la pompe a été appliquée et depuis lors, ces prix sont restés inchangés, également en 2020, année où la baisse du prix du baril sur le marché international a entraîné une subvention négative… c’est-à-dire la le prix du carburant à la pompe était supérieur au prix du marché. Cette plus-value réalisée par l’Etat a largement compensé la baisse de la commission versée par la SNH au Trésor du fait de la baisse du prix du baril.

« Concevoir une stratégie de communication à destination à la fois du grand public et des acteurs sociétaux »

Au-delà de la situation rationnellement intenable, le gouvernement ne peut se passer d’un ajustement des prix à la pompe, un ajustement dont le succès sur le plan social et politique doit s’accompagner d’un certain nombre de conditions.

L’expérience des pays confrontés à une telle situation révèle des obstacles ou des résistances qu’il faut surmonter pour réussir une réforme des subventions.

L’information et la communication sont au cœur de ce registre. La résistance aux réformes provient parfois d’un manque d’information parmi les groupes de population ou les groupes cibles. Il convient de concevoir une stratégie de communication ciblant à la fois le grand public et les acteurs de la société. Rappelons que la réforme de 2014 au Cameroun a été précédée, entre autres, de consultations avec les syndicats des transports et d’une campagne d’information sur le caractère corrosif des subventions. Le bégaiement et le bégaiement que nous constatons depuis plusieurs mois trahissent un certain manque de préparation voire un manque de coordination. Les vagues annonces du ministre du commerce, du ministre de l’eau et de l’énergie, du directeur général de la SCDP, du directeur général du Trésor ou encore les recommandations du FMI créent une cacophonie alors qu’une action urgente du gouvernement est attendue et le consommateur se sent piégé.

« Sur les 100 FCFA de subventions aux carburants, seuls 16 vont aux plus pauvres »

Par ailleurs, il est important de répondre à la question essentielle : à qui profitent les subventions ? Une étude menée en 2007 au Cameroun par deux éminents économistes, David Coady et Moataz El-Said, montre que sur 100 FCFA de subventions aux carburants, seuls 16 vont aux plus pauvres. Bref, les subventions contribuent à creuser les inégalités dans une société déjà très inégalitaire.

Une autre préoccupation fondamentale est la crédibilité du gouvernement, maître d’ouvrage de la réforme. Même lorsque l’ampleur et les inconvénients des subventions énergétiques sont reconnus, le public peut douter de l’utilisation efficace des économies générées par le gouvernement grâce à la réforme des subventions et s’opposera donc à leur suppression.

Au-delà du prix du carburant à la pompe, la situation actuelle offre au gouvernement l’opportunité de mettre en place une réforme majeure qui touchera d’autres secteurs, notamment les entreprises publiques dont certaines sont gourmandes en budget et à la merci de toute la vie de l’entreprise. la communauté. Rappelons que l’encours de la dette des entreprises publiques au 30 juin 2022 est de 876 milliards de FCFA soit 3,4% du PIB. Leur rentabilité est fondamentalement entravée par leur inefficacité. Pour cela, CAMAIR-CO et CAMTEL, évoluant dans un environnement fortement concurrentiel, doivent-elles être maintenues dans leur état actuel ?

En tout état de cause, l’expérience montre que les bonnes réformes se font de manière proactive et anticyclique, c’est-à-dire lorsque l’État dispose d’une marge budgétaire conséquente. Or, dans une période de crise profonde frisant l’impasse, comme c’est le cas actuellement, le gouvernement ne peut se passer d’une réforme des subventions, même si elle peut être douloureuse à certains égards. CQFD.

Ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale. De 2013 à 2016, il a été, entre autres, Représentant résident de la Banque mondiale en Algérie, période où ce grand pays producteur de pétrole a dû faire face à une grave crise des subventions due à la chute du prix des énergies fossiles. marché.

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