Home “Le temps aide, mais il n’efface pas le fait qu’on s’est fait massacrer à la mitraillette”

“Le temps aide, mais il n’efface pas le fait qu’on s’est fait massacrer à la mitraillette”

Le 7 janvier 2015, lorsque les frères Kouachi pénètrent dans les locaux de Charlie Hebdo, Simon Fieschi est le premier sur lequel ils tirent. Très grièvement blessé, le jeune homme a passé neuf mois à l’hôpital. Il accepte de revenir pour France Inter sur le lent processus de reconstruction, physique et psychologique.

DOSSIERProcès des attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo/Hyper Cacher/Montrouge)

Le 7 janvier 2015, lorsque les frères Kouachi pénètrent dans les locaux de Charlie Hebdo, Simon Fieschi est le premier sur lequel ils tirent. Très grièvement blessé, le jeune homme a passé neuf mois à l’hôpital. Il accepte de revenir pour France Inter sur le lent processus de reconstruction, physique et psychologique.

[Tous les jours jusqu’au 2 septembre, France Inter dresse le portrait de tous les protagonistes du procès des attentats de janvier  2015 : victimes, familles, terroristes, accusés, magistrats, avocats…]

Aujourd’hui, Simon Fieschi a 36 ans. Il est marié, jeune papa et vit dans un appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble parisien. Au rez-de-chaussée, forcément, parce que s’il parvient aujourd’hui à marcher, il n’est pas exclu qu’un jour il soit de nouveau contraint de se déplacer en fauteuil roulant.

Car le 7 janvier 2015, celui qui est webmaster de Charlie Hebdo depuis trois ans, est le premier sur lequel les frères Kouachi tirent en entrant dans les locaux de la rédaction. Une balle l’atteint dans le bas du cou, perfore un poumon, touche sa moelle épinière avant de ressortir par l’omoplate. Lorsque les secours l’emmènent, Simon Fieschi est encore conscient. Mais son pronostic vital est engagé et il est plongé dans un coma artificiel pendant une semaine. “Du coup, j’ai découvert l’attentat du 7 janvier une semaine plus tard, le 14 janvier”, explique le jeune homme. C’est sa mère qui, dans sa chambre d’hôpital, lui raconte. “J’ai mis plusieurs heures à comprendre. Et ensuite, je n’arrivais plus à me souvenir de qui était vivant ou mort. Et j’avais un sentiment de gêne absurde, je n’osais plus demander.”

D’autant que Simon Fieschi est intubé, totalement paralysé et donc dans une incapacité quasi-totale de communiquer avec ses proches ou les médecins. “J’ai conscience de mon état à leur silence ou en entendant des bouts de conversation des autres quand ils pensent que je dors ou que je n’entends pas.” La douleur physique, elle, est si intense qu’elle prend toute la place. “Elle a ça de bon qu’elle maintient les problèmes psychologiques à distance.” À tel point, raconte-t-il, que “la tristesse, la colère, ces émotions sont arrivées bien plus tard”. Une fois l’état de sidération dépassé.

Cloué sur son lit d’hôpital, en réanimation, puis en service de rééducation, il lui faut quatre mois avant “le premier frémissement qui, peut-être, annonce une amélioration possible”. Mais il s’accroche à une “évidence” : “Je ne sais pas ce qui dépend de moi, mais si quelque chose dépend de moi, il faut que ça marche. De toute façon, on n’a pas grand chose d’autre à faire que d’essayer de se rasseoir au bord du lit”, raconte l’homme à l’humour grinçant, si caractéristique de Charlie Hebdo.

Les cinq mois suivants, toujours à l’hôpital, sont ainsi rythmés par d’intenses séances de rééducation. “On ne progresse qu’une fois dépassé un certain état d’épuisement, qu’au-delà de sa limite. Donc il faut à chaque fois se faire violence.” Chaque geste de la vie quotidienne est à réapprendre. “Je ne savais plus rien faire”, se souvient le jeune homme. Jusqu’au grand saut. Celui de la sortie d’hôpital. “Ils m’ont foutu dehors”, sourit Simon Fieschi. “On s’habitue beaucoup plus vite que l’on croit à la vie hospitalière. Tous vos besoins sont pris en charge. Il y a une forme de passivité. Et c’est exaltant de se dire qu’on peut reprendre une vie, mais c’est aussi un des moments où on se rend compte que la vie ne sera pas comme avant.”

Cette nouvelle vie, c’est aussi sur le plan administratif qu’elle se joue. L’affiliation à la sécurité sociale militaire, dont dépendent les victimes d’attentats. La recherche d’un nouveau lieu de vie – Simon Fieschi n’est jamais retourné dans son appartement de “la vie d’avant”. Le processus d’indemnisation aussi et la découverte du droit du préjudice corporel – “on devient spécialistes de choses improbables”, sourit-il. Car chaque blessure, chaque handicap qui en découle, chaque séquelle psychologique est disséquée, évaluée afin d’être monétisée. Pendant des mois, c’est donc un ballet d’expertises médicales et psychologiques afin de répondre “à une question en même temps très simple et complètement vertigineuse : combien vaut ce qui vous est arrivé ?”, résume Simon Fieschi. Combien vaut cette douleur, ce moment de total découragement, ce regard des autres qui a changé – “l’impression d’être devenu un alien” – cette fatigue chronique ? “Pendant longtemps”, poursuit l’ancien webmaster de Charlie Hebdo, “ça englobe tous les aspects de votre vie. C’est un travail à temps plein d’être victime d’attentat.”

Seul le lent travail de reconstruction permet de remettre les choses à leur juste place. Pour cela, “il y a trois choses qui ont compté pour moi”, explique Simon Fieschi. “La qualité de mon entourage. La beauté : dans les arts, la musique, la littérature, il y a quelque chose de profondément réparateur là-dedans. Et puis de voir la réaction de l’ensemble de la société. Je pense qu’on a dépassé un tout petit peu le cercle des gens qui aimaient nous lire.” Tout cela, petit à petit, aide à se réconcilier avec la sérénité. Certains jours, pas tous. “Le temps aide, mais il n’efface pas le fait qu’on s’est fait massacrer à la mitraillette”, assène-t-il tristement.

Aujourd’hui, Simon Fieschi marche, certes avec difficulté, mais il y parvient. Et même s’il rechigne à dire qu’il en est fier, il donne envie de l’être pour lui. Reste l’acceptation de son handicap, toujours difficile aujourd’hui. “Par exemple, j’ai toujours l’impression, si je regarde un plan pour aller à un endroit, que j’en ai pour cinq minutes. Mais non. Et j’arrive très souvent en retard à mes rendez-vous pour ça. Mon cerveau, plus de cinq ans après, n’arrive toujours pas à accepter que je vais moins vite.” Aujourd’hui aussi, Simon Fieschi travaille – pour l’association Dessinez Créez Liberté qui  dispense de l’éducation aux médias et à la citoyenneté via le dessin de presse – s’occupe de sa fille, voyage. Vit tout simplement. Et ose se dire heureux. “J’ai réussi à adapter ma vie pour en être content. Et je dirais que ça a été une grande partie du travail de ces cinq dernières années.”



SOURCE: https://www.w24news.com

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